« L’Echappée, de Clémentine Poquet et Phabrice (sic, oui avec Ph) Petitdemange, porte ce sous-titre : conte électro dessiné. Indication d’un genre traditionnel (le conte) mais traité de façon originale, moderne, technologique (à coups de dessins créés électroniquement). Sur la couverture (noire) du dossier, brille une tête d’homme, vue de ¾ dos, nimbée d’un halo, comme éclairée par un projecteur de théâtre. Et c’est bien en effet un spectacle qui se joue sur une scène que ce projet décrit. Un acteur-musicien (Phabrice) se produit devant un écran de cinéma qui reçoit des dessins (de Clémentine). « Le personnage évolue dans un espace dessiné. Le dessin exprime le monde fragile de l’inconscient, du rêve, en opposition à l’espace scénique qui pose un univers concret. La complémentarité entre les projections dessinées et la performance sur le plateau suggère au spectateur différentes lectures du spectacle. En interaction avec la vidéo, le personnage traverse l’écran, métaphore de son monde inconscient, imaginaire, et en ressort chaque fois un peu plus transformé, comme s’il ramenait avec lui un peu de matière du film. » Voilà pour l’image. Pour le son, on doit comprendre que la musique est réalisée en direct, par le personnage/performer, « à partir de samples et d’enregistrements live ». Et puis ceci, indice d’originalité : « Phabrice joue avec une guitare-séquenceur-baromètre qu’il a réalisée et en sort un mix électro psychédélique. » Enfin, on apprend que le contenu du spectacle est fait de « textes clamés, en parlé-chanté, qui retracent l’histoire du personnage ». On n’en saura pas plus, mais un témoignage de la chanteuse Brigitte Fontaine promet monts et merveilles : « des langues de feu, des langues de putes, des anémones carnivores, des bébés cannibales, des lapins à plumes, des oiseaux de paradis, tout ce qu’il faut pour s’amuser et pour pleurer, pleurer oui car il y a aussi une vierge déshabillée et violée ». Si ce témoignage a pu être fourni c’est que le spectacle est déjà en cours de fabrication et que des extraits en ont été rodés dans divers lieux accueillant ce genre d’expérience, à Paris, à Genève, à Bruxelles, à Vitry-sur-Seine, à Poitiers, sans oublier Crévoux (Hautes-Alpes) et son fameux centre de création numérique nommé Fées d’Hiver.
À lire le cheminement du projet, se dessine toute une géographie de la création numérique. Les CV des deux artistes amplifient ce territoire grouillant de sensations numériques. Phabrice, né en 1977 à Genève, a fait des études en France de musique, d’optique et de dessin. Il a signé des vidéo-clips, monté des spectacles musicaux (électro), traîné ses guêtres et sa guitare de Berlin à Athènes, d’Amsterdam à Caen en passant plusieurs fois par Avignon, et Bruxelles, où il réside maintenant. Clémentine, née en France en 1987, a étudié les lettres modernes à la Sorbonne Nouvelle, le cinéma et le dessin aux Beaux arts d’Angoulême et d’Orléans. Depuis qu’elle a découvert le spectacle vivant, d’abord avec François Sahran puis avec Phabrice Petiddemange, c’est dans ce domaine qu’elle investit son énergie créatrice en mêlant ses dessins à des expériences scéniques. Même si ses dessins ont été exposés dans des galeries, « elle envisage maintenant le dessin surtout dans sa dimension spatiale et interactive, grâce à l’usage de la vidéo projection et de l’animation numérique, utilisées conjointement ». Elle vit et travaille, elle aussi, à Bruxelles. Bref : Clémentine et Phabrice (ah ce Ph), un joli couple dans la vie comme sur scène, sans doute, à qui je souhaite bien du bonheur. À eux et à leur Echappée.
Ce sympathique projet, bien dans l’air du temps, plein de promesses spectaculaires (moi je crois Brigitte Fontaine sur paroles), n’a cependant pas retenu les suffrages du Jury. Peut-être parce que l’orientation scénique du numérique date un peu, semble appartenir à un passé révolu, pourtant tout proche, oui c’est ça, on en voit partout des choses comme ça, des images en direct et de la musique live, des retours vidéo et des injections graphiques. Ce qui ne veut pas dire qu’on s’en lasse en tant que spectateurs, si la musique est bonne et les performers sensas, mais comme indicateur de futur cela sonne un peu léger. Michel Jaffrennou, en France, a été le pionnier de cette vidéo-théâtrie (le concept est de lui) : des Totologiques à Vidéopérette en passant par Vidéo Circus, il a dans les années 70 et 80 multiplié les échanges invraisemblables entre réel et images, directes et enregistrées. Un vrai feu d’artifices électroniques (analogiques). Puis à l’ère numérique, dans les années 90, il a redistribué les cartes en jouant lui-même sur scène avec un personnage interactif, Digiden, qui répondait aux demandes du public en dessinant des objets, des animaux, des mots, etc. Dans les années 2000, c’est le bouquet : deux mimes devant un grand écran, fait de multiples carrés démontables, Algo et Ritmo, à la recherche des images perdues, fabriquent, transforment, escamotent toutes sortes d’images (danses, dessins, tableaux célèbres, choses réelles, trucs tordus). Une sorte de condensé d’un quart de siècle d’aventures vidéo interactives (entre images préparées, images live et acteurs sur scène) qui semble poétiquement indépassable. Mais il n’y pas de raison de ne pas essayer. L’art ludique, c’est tellement plaisant.«
Article de Jean Paul Fargier à propos de L’Échappée
Turbulence vidéo #05